Autobiographie d’un Abidjanais

Article : Autobiographie d’un Abidjanais
Crédit:
26 septembre 2016

Autobiographie d’un Abidjanais

Je ne suis ni désavantagé à un quelconque degré physique ni docker de plus grosses tares que d’autres. Mais comme une grande majorité d’Africains, j’ai été conditionné d’une certaine manière, par mon éducation, par la société, et plus que tout, par mon lieu de vie. J’ai passé presque toute ma vie à Abidjan, 29 ans au cœur d’un lieu ou rien de ce que l’on mange n’est produit dans les environs. Un lieu qui, sans pétrole, sans électricité et sans eau, s’effondre en trois jours. Mon cœur et mes pensées ont été sous perfusion de la publicité et injectés d’envies de consommation avec régularité, dans les transports, dans la rue, à la télévision et sur internet.

J’ai passé ma vie entouré par les pots d’échappement noirâtres des wôrô-wôrô, les bruits de klaxon et les carrefours embouteillés sur plus de cent mètres. Pendant un temps non négligeable de mon existence je me suis nourri de pain en tranches, de fromage venu de bengue, de jambon, de yaourts et de vin italien au détriment du riz « Gbagbo ». Jusqu’à mes 23 ans, j’étais incapable de me faire cuire un œuf. Je ne savais pas comment ma nourriture était produite et je m’en foutais totalement. J’allais régulièrement à la campagne chez ma grand-mère, sans pour autant vraiment profiter de son immense plantation si ce n’est pour y faire des feux. C’était beaucoup plus gai de faire brûler un tas de bois que de se soucier de la croissance des plantes.

J’ai été no-limites sur les bords, replié sur moi, accro aux jeux vidéo, capable de passer 12 heures d’affilée à vivre par procuration, des péripéties héroïques à travers des pseudos héros. Encore aujourd’hui, je hais l’exercice physique avec une passion faiblissante certes, mais toujours intense. Depuis quatre ans, je travaille dans le numérique, à la fois pour mes projets personnels et professionnels. Et même si je me choie, je passe encore une grosse partie de mes journées affalé devant un ordinateur, le dos en banane.

Jusqu’à un certain point j’ai cru que la démocratie se résumait à mettre un bulletin dans une urne et j’ai élu mes maîtres avec naïveté pendant quelques années. Mais les élections de 2010 en terre Éburnéen ont fini de me convaincre que je m’étais lourdement trompé. Les notions de bonheur, de bien-être, de simplicité, de calme, de paix intérieure, m’ont été assez largement éphémères, voire étrangères, pendant longtemps.

Je ne suis pas en train de m’apitoyer sur mon sort. Mais il y a peut être mieux. Il y a pire aussi. J’ai quand même appris à ne pas gâcher ma nourriture, à respecter la vie sous toutes ses formes, à aimer mon prochain, à respecter de grands principes dont les applications dans la réalité m’échappaient totalement en ma qualité d’Abidjanais coupé du monde. Mais ce sont ces principes qui m’ont permis de ne pas démissionner face à la vérité, quand mes yeux se sont éclairés un peu plus face au vide.

Mon premier réveil fut San Pedro. Je pense que toute personne un peu trop centrée sur son foyer et sur ses « first world problems » devrait y faire un tour. Un vrai bidonville avec ses connections électriques peu orthodoxes. Ça fout la chiasse, mais ça débouche les sinus, les yeux, et le cerveau par la même occasion.

J’avais une vision un peu plus claire des failles de l’économie de marché, de la nécessité de protéger notre environnement, de mieux vivre ensemble. Mais je n’avais pas la moindre idée de ce que je pouvais faire pour participer au changement que j’aspirais à voir émerger. Je considérais que la solution miracle viendrait de la technologie.

Abidjanais visite la cascade de Man

Deux traversées du pays des éléphants, une en moto, une en voiture, à respectivement 19 et 25 ans, ont élargi ma vision de la Côte d’Ivoire et surtout des gens merveilleux qui la peuplent. J’ai commencé à changer. Nous avons tous un point de saturation. Un moment où nous nous retrouvons dos au parapet, porteurs d’un savoir qui nous beugle que tout ce dont nous avons été victimes et complices, doit cesser. Le coefficient inertie/désir de mouvement s’équilibre. Au prix de nombreux doutes, de nombreuses souffrances et indécisions, certes, mais il se stabilise pour me donner la force d’affronter les veuleries de la vie Abidjanaise.

Partagez

Commentaires

Chantal
Répondre

Belle plume, bel article. J'imagine que dans quelques années tout ceci ne sera que du passé, car la responsabilité du citoyen est de s'impliquer dans les affaires publiques de son Etat pour un mieux-être ... les élections de 2010 en terre Éburnéen ont fini de me convaincre que je m’étais lourdement trompé. Les notions de bonheur, de bien-être, de simplicité, de calme, de paix intérieure, m’ont été assez largement éphémères, voire étrangères, pendant longtemps.

Mathyas KOUADIO
Répondre

Merci Chantal pour ta contribution. Que tous ça soit aux oubliettes, c'est mon souhait le plus ardent. Mais comme tu le sait certainement, il ce qu'on veux, ce qu'on peux et il y ce que la vie nous donne. Ces changements tant souhaités auraient dû être effectifs depuis longtemps mais que veux nous somme à notre place: l'Afrique

Ladji Siratigui
Répondre

Tu es un genie, mon frere.

Mathyas KOUADIO
Répondre

Merci Grand frère Ladji. Un génie? je ne pense pas. Inspirer? Oui ! ça je le suis.